Contribution des OSC à la réunion de Lusaka (Zambie)

Réunion des Etats membres de l’Union Africaine (UA) et des Communautés Economiques Régionales (CER)

Lusaka, 18-19 Juin 2019

Les Organisations de la Société Civile (OSC) ont pris connaissance de la tenue à Lusaka (Zambie) de la réunion organisée par la Commission de l’Union Africaine (CUA) portant sur la validation d’un projet de plan pour la mise en œuvre du Pacte Mondial pour une Migration sûre, ordonnée et régulière en Afrique. Cette réunion, qui fait suite à l’adoption du pacte à Marrakech en décembre 2018, est aux yeux de la société civile africaine, une rencontre importante pour déterminer des actions concrètes en vue d’améliorer la situation des migrants en Afrique. Malgré le délai assez court, une large consultation entre les acteurs de la société civile travaillant sur la migration en Afrique a permis de dresser une liste de propositions à soumettre à la réunion en suivant les sept (7) priorités identifiées par la Commission de l’Union Africaine (CUA) et ses partenaires du Système des Nations Unies pour les trois prochaines années.

Priorité 1 : Promouvoir un discours, une politique et une planification de la migration fondée sur des faits et des données (Objectifs 1 et 3 du Pacte Mondial pour les Migrations)

Tout en saluant les propositions déjà formulées par la CUA allant dans le sens de l’opérationnalisation des observatoires régionaux, du renforcement de l’Institut de Statistiques de l’UA, des bureaux nationaux et régionaux de statistiques, les OSC tiennent à souligner les points suivants :

1-      Aux yeux de la société civile africaine, la criminalisation des migrants, par les législations actuelles dans la majeure partie des pays africains, cantonne les migrants en situation irrégulière dans la clandestinité et empêche une récolte efficace de données au niveau du continent. Pour les acteurs de la Société Civile une réussite des objectifs de cette priorité passe par un effort de la part des Etats pour sortir les migrants de la répression et de la peur dont ils sont victimes et leur permettre de pouvoir se recenser lors des enquêtes officielles.

2-      Les migrants ne sont pas que des chiffres ou des données numériques, ce sont des histoires et des expériences qui valent la peine d’être collectées et analysées pour l’élaboration de politiques migratoires respectueuses des droits humains. La prise en compte des aspects qualitatifs de la migration est donc un élément primordial pour la réussite de cette priorité.

3-      La faiblesse de la collaboration entre les structures de la société civile et les institutions officielles de collecte des données est également un point important à améliorer pour les prochaines années. Les données recueillies par les OSC, les organisations religieuses et les syndicats offrants des services aux migrants (aussi bien en situation régulière qu’irrégulière) sont insuffisamment valorisées au niveau des pays, des CER et du continent.

4-      L’accès des citoyens aux données produits par les institutions officielles sur les migrants (via des sites web dédiés ou des applications électroniques) nous parait également fondamental pour l’atteinte des objectifs attendus par le Pacte Mondial pour les Migrations.

Priorité 2 : Protéger les droits de l’Homme et éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des migrants africains et de la diaspora (Objectifs 1, 3 et 17 du Pacte Mondial pour les Migrations)

Les OSC soutiennent les mesures juridiques proposées dans le plan d’action en vue de sanctionner tous les actes de discrimination dont sont victimes les migrants sur le continent africain. En sus de ces mesures, au-delà des actions de sensibilisation à l’égard des populations des pays d’accueil et de l’implication des médias dans la prévention de la discrimination, les OSC suggèrent :

5-      La généralisation des programmes d’éducation au vivre ensemble et à la découverte des richesses culturelles des différents pays africains et du monde. Ce point nous semble crucial car la méconnaissance des richesses culturelles africaines et la valorisation des cultures occidentales sont autant à l’origine des départs en migration que de la montée de la xénophobie entre Africains.

6-      Le renforcement et le financement des programmes de rencontres, d’échanges interuniversitaires et de voyages des jeunes sur le continent afin de faciliter une meilleure connaissance d’autres cultures et une meilleure mixité entre les peuples.

7-      La prise en compte des alertes et rapports de la société civile sur les exactions ou les violences des droits migrants dans les Etats membres de l’UA par l’envoi d’observateurs indépendants pour faire le point sur la situation et rendre compte aux instances de paix et de sécurité de l’Union Africaine.

8-      La mise sur pied d’un mécanisme d’intervention rapide voire de sanctions contre les pays africains où se déroulent des attaques xénophobes ou la chasse aux migrants sur des bases discriminatoires ou racistes.

Priorité 3 : S’attaquer à la migration irrégulière, notamment en gérant les frontières et en luttant contre la criminalité transnationale (Objectifs 9, 10 et 11 du Pacte Mondial pour les Migrations)

Le trafic des migrants et la traite transnationale sont des enjeux importants sur le continent. Une fois encore la société civile tient à rappeler que les mesures sécuritaires aux frontières ne sont pas la meilleure solution pour en finir avec l’exploitation des migrants. Le renforcement des frontières rend encore plus vulnérable les migrants qui sont laissés à la merci des harcèlements des agents d’immigration. En outre les frontières favorisent le business des passeurs qui trouveront toujours des moyens pour les contourner. Enfin l’endettement des pays africains engendré par l’industrie de la sécurisation des frontières et de la biométrie ne peut être passé sous silence. Pour répondre aux drames de la migration irrégulière et lutter contre la criminalité transnationale sur le continent et hors du continent, les options suivantes sont à envisager :

9-      Mettre fin aux frontières héritées de la colonisation qui divisent l’Afrique et détruisent l’effort d’intégration continentale pour créer un espace de libre mobilité sur le continent.

10-   Négocier au titre de la coopération entre l’Union Africaine et ses partenaires Américains, Asiatiques et Européens des accords de mobilité respectueux des citoyens Africains.

11-   Développer les bonnes pratiques d’accompagnement protecteur des travailleurs migrants et créer des cellules dédiées à la lutte contre la traite transnationales dans les missions diplomatiques des pays d’origine des migrants en Afrique et hors du continent particulièrement dans les pays du Golfe (Arabie Saoudite, Liban, Koweit, Qatar etc.)

12-   Faciliter les plaintes contre les harcèlements dont sont victimes les migrants lors de leur traversée des frontières en ayant une attention particulière pour sanctionner les abus des services d’immigration contre les femmes migrantes.

Priorité 4 : Faciliter les migrations régulières, le travail décent et renforcer les effets positifs de la mobilité humaine sur le développement (Objectifs 2, 5, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22 du Pacte Mondial pour les Migrations)

Comme souligné à plusieurs reprises par les instances de l’Union Africaine, la migration professionnelle intra-africaine est l’aspect le plus important dans la mobilité sur le continent. En adhérant aux propositions déjà énoncées dans le plan d’action pour une migration professionnelle régulière et travail décent des travailleurs migrants dans le formel comme dans l’informel, les OSC proposent de :

13-   Régulariser la situation des travailleurs migrants dans les pays africains en améliorant la législation dans les pays d’accueil pour rendre accessible à moindre coût le permis de travail.

14-   Créer au niveau des services publics de l’emploi des pays africains des sites web d’informations dédiés à l’information sur les besoins de main d’œuvre non couverts par le marché local.

Priorité 5 : Promouvoir les migrants et la diaspora pour qu’ils contribuent pleinement au développement durable dans les pays d’accueil et d’origine (Objectifs 18, 19, 20 du Pacte Mondial pour les Migrations)

Pour la société civile, il semble important d’aller au-delà de la vision utilitariste de la diaspora en tant pourvoyeurs de fonds, de projets de co-développement et aller vers une vision holistique de l’apport de la diaspora pour le développement de l’Afrique. Ainsi les mesures énoncées dans le plan d’action pour booster l’investissement des diasporas sur le continent et réduire le coût des transferts de fonds ne semblent pas suffisantes pour une réelle participation de la diaspora aux efforts de construction du continent. Pour se faire, nous proposons comme actions aux Etats de :

15-   Adopter des législations qui accordent le droit aux binationaux de pouvoir s’impliquer dans la vie politique du pays.

16-   Accompagner le développement de centres culturels africains  dans les pays d’accueil hors du continent pour valoriser les cultures africaines auprès de la diaspora.

Priorité 6 : Renforcer la protection des migrants, recherche de solutions durables, y compris le retour et la réadmission (Objectifs 4, 5, 7, 8, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 21 du Pacte Mondial pour les Migrations)

L’opinion publique africaine est préoccupée par les conditions dans lesquels s’effectue le retour des migrants Africains aussi bien d’autres pays africains que des pays occidentaux. Les politiques de retour ou d’expulsion des migrants sont déshumanisants. Elles plongent dans le désarroi des personnes qui même en situation irrégulière dans leur pays d’accueil arrivent à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Tout en reconnaissant la nécessité d’actions spécifiques pour la réadmission dans leur pays d’origine des migrants en détresse ou en situation vulnérable dans les pays de transit ou d’accueil, les organisations de société civile lance un appel aux Etats Africains et à l’Union Africaine de revoir leurs accords avec l’Union Européenne concernant les expulsions des migrants et l’externalisation des politiques migratoires. Les OSC souhaite que le plan d’action prenne en compte les éléments suivants :

17-   L’adoption par tous les Etats Africains de cadre légaux de protection des réfugiés et demandeur d’asile.

18-   La mise sur pied de mécanisme de sauvetage adaptée des migrants en détresse sur les mers et dans les océans tout autour du continent Africain et non seulement en mer Méditerranée.

19-   L’insertion dans les politiques publiques de normes de protection des enfants en mobilité en veillant à leur accompagnement et à leur intérêt supérieur tout au long de leur parcours migratoire.

20-   La mise en œuvre de cadre juridique interdisant la rétention des migrants en situation irrégulière, et en particulier des enfants migrants, sur le continent. Prendre des dispositions pour défendre les droits des migrants africains détenus dans les centres de rétention sur les autres continents.

Priorité 7 : Renforcement des capacités des États membres en matière de mise en œuvre du Pacte Mondial pour les Migrations. (Pour tous les Objectifs du Pacte Mondial pour les Migrations)

Les organisations de la société civile, les organisations religieuses et les syndicats espèrent collaborer étroitement avec les Etats membres de l’Union Africaine, les Communautés Economiques Régionales et la Commission de l’Union Africaine pour la mise en œuvre de ce plan d’action. Par conséquent, ils saluent la démarche inclusive initiée par la Commission de l’Union Africaine à leur endroit dans la formulation de ce plan d’action. Ils appellent les Etats membres de l’Union Africaine et les Communautés Economiques Régionales à suivre l’exemple de la Commission en associant la société civile dans leur pays ou dans leur région à la mise en œuvre de leur stratégie de mise en œuvre pacte. La société civile s’engage d’hors et déjà à contribuer à une large diffusion du plan d’action de l’Union Africaine sur tout le continent pour faciliter l’appropriation du plan par tous les acteurs et assurer par la mise en œuvre  du Pacte Mondiale pour la Migration une amélioration de la situation des migrants africains.

Pour les Organisations de la Société Civile

L’Observatoire Ouest Africain des Migrations

Samir ABI

Secrétaire Permanent

One thought on “Contribution des OSC à la réunion de Lusaka (Zambie)

  1. Mustapha Nasraoui

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    Document très intéressant. Une référence incontournable pour toute politique qui vise à gérer la migration d’une façon rationnelle et humaine

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