Démographie en Afrique : un enjeu mondial

Un continent jeune. Telle est la description souvent faite de l’Afrique. Plus de 800 millions d’Africains ont moins de 25 ans soit 62% de la population du continent estimée à 1,3 milliards en 2019. Ces chiffres sont plus éloquents quand on les compare avec la proportion des jeunes de la même tranche d’âge sur les autres continents. Les jeunes de moins de 25 ans représentent un peu plus de 40% de la population en Asie et en Amérique latine et à peine le quart de la population (27%) dans les pays développés notamment en Europe et en Amérique du Nord. Les conséquences de cette abondance de jeunes en Afrique vont au-delà du continent mais avant de l’évoquer il faudrait d’abord s’attarder sur les raisons de cette démographie exceptionnelle dans cette partie du monde.

L’enfant comme signe de richesse

Sur le continent africain, il n’est un secret pour personne que les hommes et les femmes éprouvent un grand désir de faire des enfants malgré les conditions de vie précaires. Dans l’univers culturel traditionnel africain, un enfant représente une richesse et un don de la nature qu’il serait impardonnable ne pas accueillir sous peine d’attirer la colère des ancêtres. La transition de cette conception de l’enfant-richesse vers les visions plus nucléaires de la famille promues par le libéralisme économique suit son chemin dans les capitales africaines mais de façon plus lente dans les campagnes.

En moyenne une femme africaine accouche 4 à 5 fois tout au long de sa période de fertilité entre 15 et 49 ans. Dans certains pays comme le Niger, les femmes accouchent 7 fois durant cette même période. Si à l’inverse on considère cet indicateur au niveau des hommes nigériens on se rend compte que la fécondité est de 13 enfants par homme dans ce pays comme dans d’autres pays africains acceptant la polygamie. Ce fort de taux de fécondité n’est pourtant pas uniforme sur tout le continent Africain. Dans les pays d’Afrique du Nord et en Afrique du Sud, le taux de fécondité est de 2 enfants par femme. L’écart entre la fécondité dans les régions aux extrêmes du continent et l’Afrique subsaharienne n’est nullement dû à la position géographique mais surtout au taux de scolarisation élevé des femmes en Afrique du Nord et du Sud, à leurs occupations professionnelles ainsi qu’à l’accès facile aux méthodes de contraception.

Au-delà de la fécondité, un des facteurs les plus importants qui explique cette abondance de jeunes en Afrique est la baisse du taux de mortalité infantile et des jeunes. La généralisation des hôpitaux et centres de santé dans les campagnes, avec des personnels de santé bien formés, a pour résultat une diminution des maladies endémiques au sein des populations. Cela a permis de relever l’espérance de vie entre 1960 et la période actuelle de 35 à 57 ans. En outre, un meilleur suivi est fait des femmes enceintes. Cela favorise une réduction des accouchements à risque. Les enfants naissent donc plus nombreux mais en bonne santé et vivent plus longtemps par rapport à la première moitié du XXème siècle. Il faut rappeler qu’à l’indépendance des pays Africains, à partir des années 1950 jusqu’en 1960, la population africaine était à 280 millions d’habitants. Elle représentait alors 7% de la population mondiale. En 60 ans, elle a augmenté de plus d’un milliard et représente actuellement 14% de la population mondiale. Et cette tendance n’est pas près de s’arrêter.

Selon la dernière édition du World Population Prospect (Perspective de la Population Mondiale), publiée en juin 2019 par la division de la population du Département des Affaires Economiques et Sociales des Nations Unies (UN DESA), l’Afrique verra sa population doubler en 2050 pour atteindre 2,1 milliards d’habitants et quadrupler à l’horizon 2100 à 3,8 milliards d’habitants. L’Afrique sera donc la pièce maîtresse de l’augmentation de la population mondiale qui atteindra 9,7 milliards de personnes en 2050 puis 10,9 milliards de personnes en 2100. Toujours selon ce rapport même si une transition démographique est en vue en Afrique, l’hypothèse la plus optimiste est celui d’une transition lente avec une baisse de la fécondité des femmes africaines mais qui sera toujours plus élevée par rapport aux femmes des autres parties du monde. La question qui se pose alors aux pays africains est de savoir comment dans leur plan de développement à moyen et long terme, ils comptent gérer cette perspective démographique expansionniste.

Dividende démographique ou révolution contraceptive

La croissance économique record de 5% en moyenne ces 20 dernières années a poussé de nombreux pays africains à rêver à une émergence de leur économie à l’horizon 2030. Cette croissance économique, boostée surtout par le renforcement du partenariat commercial avec les pays asiatiques en particulier la Chine, reste toutefois assez modeste par rapport à la croissance démographique pour impulser une réelle dynamique d’émergence économique en Afrique. Le taux de croissance démographique en Afrique, qui est en moyenne 2,5% depuis les indépendances, engendre des défis sociaux que peinent à résoudre les gouvernements avec les recettes générées par la croissance économique.

L’accroissement de la population et sa jeunesse conduisent à des besoins importants en éducation, en emplois décents et en logements adéquats que bien souvent les États n’arrivent pas à gérer tout seul. Dans pratiquement tous les pays en Afrique, les États ont tendance à avoir recours au secteur privé pour suppléer aux demandes de leur population dans tous les domaines. Cela entraîne un fort taux de privatisation des secteurs sociaux comme l’éducation et la santé. En outre les nombreux jeunes de 25 ans et plus qui viennent grossir chaque année les chiffres de la population active se retrouvent sans emploi faute d’investissements publics et privés suffisants. Pourtant les plans de développement des pays africains misent sur le dividende démographique de la jeunesse africaine pour impulser l’émergence du continent.

Le dividende démographique est une notion importée des pays d’Asie du Sud-Est qui ont su tirer profit de leur population nombreuse et de sa jeunesse pour amorcer une dynamique de croissance économique forte. Le dividende démographique suppose plusieurs hypothèses. La première est la transition démographique par la baisse de la fécondité des femmes pour avoir moins d’enfants à charge dans une famille. La seconde hypothèse est l’accès à l’emploi des nombreux jeunes dont dispose un pays pour avoir une augmentation du revenu disponible dans les familles. La diminution de nombre d’enfants en charge dans les familles et l’augmentation des revenus rendent disponibles des ressources additionnelles et créent un surplus économique pour l’épargne des ménages. L’État pourra également se servir de ce surplus économique pour le développement du pays. Cet effet positif peut donc se sentir tout au long de la période de travail des jeunes actifs entre 25 et 65 ans soit sur 40 ans avant qu’ils n’accèdent à la retraite. Un cycle moindre de dividende démographique pourrait alors suivre grâce aux générations suivantes et aux ressources économisées par les travailleurs partant à la retraite.

La projection des plans de développement en Afrique sur un possible dividende démographique en Afrique reste hypothétique. En effet le manque d’emploi sur le marché du travail paralyse tout accès à des revenus décents pour les jeunes africains. Pour éradiquer le chômage endémique des jeunes, les gouvernements devraient être capables de créer 450 millions d’emploi dans les 20 prochaines années sur le continent. Avec la nature extravertie de leurs économies, qui dépendent toujours de l’exportation de matières premières dont la fixation des prix leur échappe, aucun espoir à ce niveau. Dans le meilleur des scénarios de croissance économique, les États africains ne peuvent créer qu’au plus 100 millions d’emplois d’ici à 2050. En outre la culture traditionnelle et le poids des religions monothéistes rendent lente la transition démographique via les progrès sociaux comme l’allongement de la durée de scolarisation des filles. En effet les religions et les traditions sont contre les méthodes contraceptives et valorisent plutôt les naissances espacées. Cela fragilise l’effet espéré de la transition démographique par les économistes partisans du dividende démographique.

En face, les partisans d’une politique plus ferme des Etats au niveau de la planification et du contrôle des naissances ne cessent d’appeler à une révolution contraceptive. Pour eux il est urgent d’agir directement sur la fécondité par une politique gouvernementale plus renforcée sur la planification familiale. Une telle politique permettrait aux États africains, selon eux, d’arriver à ce que 75% des couples africains utilisent des méthodes modernes de contraception contre 26% à l’heure actuelle. Le président français Emmanuel Macron est venu renforcer les arguments de ce groupe par ses propos tenus le 8 juillet 2017 en marge du sommet du G20 qui discutait d’un « plan Marshall » pour l’Afrique à Hambourg (Allemagne) : « Quand des pays ont encore aujourd’hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. »

Entre instabilité politique et flux migratoires

A moins d’une révolution structurelle dans le système économique internationale et dans la gouvernance des États africains, les perspectives offertes par la croissance démographique en Afrique semblent pessimistes. Les conséquences de cette explosion démographique en Afrique ne peuvent certes pas laisser indifférents les autres continents et en particulier le continent voisin européen et les pays du proche orient.

La jeunesse de la population africaine est une bombe à retardement pour le continent dans le contexte particulier de la gouvernance en Afrique. L’accumulation des pouvoirs politiques et économiques aux mains de minorités vieillissantes poussent souvent les jeunes en quête d’un emploi à la révolte. Le cas des révoltes du printemps arabo-berbère en Afrique du Nord en 2011, des mouvements de contestation des pouvoirs en place en Afrique de l’ouest, du centre, de l’est et australe ces trois dernières années, sont des images des instabilités récurrentes auxquelles le continent doit s’attendre dans les prochaines décennies. Le souci de préserver les privilèges acquis ne peut que conduire les pouvoirs en place à la répression des mouvements de protestation. En outre, il faut craindre la fermeture des espaces d’expression démocratique, de dénonciation de la corruption, du népotisme des autorités politiques aidées par les multinationales occidentales et asiatiques véreuses. Ces dernières, fautes de créer des emplois décents dans les économies africaines, augmentent plutôt le ressentiment des Africains contre la néo-colonisation sur le continent. De telles situations engendrent inlassablement des rebellions armées et des actes terroristes dont personne n’est épargnée.

Un autre scénario à envisager est la fuite des jeunes hors du continent. En effet, comme c’est le cas d’ailleurs, les routes migratoires ne cesseront de s’ouvrir pour permettre aux jeunes africains d’aller à la recherche d’opportunités d’emploi sous d’autres cieux. Le vieillissement de la population en Occident et les besoins de mains d’œuvre bon marché en Orient pousseront de plus en plus de jeunes africains à la migration internationale au péril de leur vie face aux politiques migratoires sécuritaires des autres continents. Le défi démographique africain apparait inévitablement comme un enjeu mondial.

(Article écrit par Samir ABI, Secrétaire Permanent de l’Observatoire Ouest Africain des Migrations.)

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