L’adoption du Pacte Mondial pour les Migrations a été incontestablement l’évènement ayant marqué la fin d’année 2018. Entre le boycott de certains pays, la surenchère des partis populistes, la crise gouvernementale dans des Etats autour de la question et les débats entre citoyens sur la pertinence ou non de le signer, le pacte mondial a bénéficié plus qu’il n’en faut d’une large publicité dans les médias. Nul besoin de revenir sur une analyse critique du contenu de ce pacte, ces 23 objectifs et ces 186 engagements non contraignants sur lesquels de nombreuses publications ce sont déjà penchées. Comme le dit le proverbe : « Le vin est tiré et il faut le boire » aussi amère soit-il. La curiosité reste donc de voir comment, dans les années à venir, les pays et les institutions internationales veilleront à appliquer ou à se jouer de ce pacte pour satisfaire leurs intérêts. En attendant de voir apparaitre le monde radieux pour les migrants que laisse espérer ce pacte, ces lignes reviennent sur des engagements humains observés dans le périple que fut notre participation à la semaine de la migration à Marrakech.
La mobilité, une source d’inégalité
Marrakech, considérée comme la capitale culturelle du Maroc, est sans conteste la citée touristique la plus visitée au Maroc. En 2017, plus de sept (7) millions de nuitées ont été enregistrées par les hôtels de la ville. La fameuse et célèbre place publique Jemaa El Fna, point de chute de tous les touristes de passage à Marrakech, vous laisse le loisir de croiser aussi bien des Allemands, des Espagnols, des Scandinaves, des Américains, des Français et bien sûr des Marocains venus admirer la cité ocre et ses charmes. Le tourisme à Marrakech rapporte une manne financière et une visibilité assez importante à l’Etat marocain qui ne lésine donc pas sur les moyens pour attirer le plus possible d’étrangers. Mais certes tous les étrangers ne sont pas les bienvenus. Et parmi les indésirables figure une bonne partie des voyageurs subsahariens.
En marge de la semaine de la migration à Marrakech, 70 organisations d’une vingtaine de pays d’Afrique du centre, de l’est, de l’ouest et d’Afrique australe ont publié une déclaration pour dénoncer les difficultés liées à l’obtention de visa pour le Maroc. Ces difficultés ont conduit à la non participation de nombreux acteurs de la société civile africaine aux évènements de Marrakech. La première de ces difficultés réside dans le fait que le Maroc ne dispose pas de représentations diplomatiques dans tous les pays africains. Plus de la moitié des pays du continent n’a pas d’ambassade marocaine, ce qui oblige les voyageurs de ces pays requérant un visa à se rendre dans un autre pays pour faire leur demande. Il parait alors facile de s’imaginer les coûts supplémentaires en frais de transport et d’hôtels que cela engendre pour ces voyageurs juste pour pouvoir disposer d’un visa marocain.
Les voyageurs africains les plus chanceux sont ceux qui disposent d’une ambassade marocaine sur leur sol. Mais pourtant ceux-ci ne sont pas non plus épargnés par les difficultés. Les ambassades du Royaume chérifien en Afrique subsaharienne exigent dans la constitution d’un dossier de demande de visa divers documents liés au revenu, à la résidence, à l’emploi, à la réservation d’hôtel même parfois la preuve d’achat d’un billet d’avion et non une simple réservation de vol. La demande de visa pour le Maroc se révèle donc un véritable parcours du combattant. Cela amène certaines personnes à finalement ne plus vouloir effectuer leur voyage aussi important soit il pour les affaires sur le continent. Le paradoxe se retrouve dans le contraste entre le discours déployé par les autorités marocaines visant à faire apparaitre leur Royaume comme un modèle en matière de politique migratoire en Afrique et la réalité des pratiques sur le terrain.
Comme les autres pays d’Afrique du nord, le Maroc instrumentalise la migration subsaharienne, et sa position comme pays de transit, dans ses marchandages avec l’Union Européenne pour obtenir le plus possible d’avantage en fonds d’aide européenne. Il est donc assez difficile d’imaginer, même avec la signature du Pacte Mondial pour les Migrations, que le Maroc s’engage à cesser ses lucratifs services de sous-traitant offerts à l’Union Européenne pour le beau rêve de la libre circulation au sein du continent. Un rêve voulu par l’Union Africaine que le Royaume chérifien vient pourtant de réintégrer. Marrakech continuera donc à dérouler le tapis rouge pour les étrangers du Nord qui viendront toujours y séjourner sans visa au détriment des frères africains du Maroc.
L’hospitalité, une valeur à honorer
Bien que peu honorés durant cette semaine de la migration à Marrakech, les vrais héros de l’histoire restent les citoyen-ne-s qui œuvrent au quotidien pour un accueil digne et pour offrir l’hospitalité à l’étranger de passage. Au risque de leur vie, contre les préjugés sociaux et les politiques publiques qui les criminalisent dans leur pays, ils sont nombreux à vouloir faire vivre la part d’humanité encore présente dans nos sociétés. Le séjour au Maroc a été l’occasion de côtoyer certains de ces citoyen-ne-s qui par leur sourire redonne de la chaleur au cœur et de l’espoir aux voyageurs frustrés par les mille et une souffrances du périple.
Ces lignes sont un hommage au parfait inconnu de Casablanca qui a su prendre le temps de m’indiquer la voie vers la gare routière d’Ouled Ziane m’évitant ainsi d’acheter, à prix onéreux, un billet d’avion pour Marrakech. Hommage à Mohammed pour le transport gratuit dans son taxi sur les routes de la banlieue résidentielle de Palmeraie. La Palmeraie où étaient retirées les délégations gouvernementales pour les rencontres officielles marquant cette semaine de la migration. Hommage enfin à Siham, pour le couscous maison du vendredi savouré dans la pure tradition de l’accueil et de l’hospitalité marocaine à l’égard des étrangers. Que d’inconnus croisés au gré de nos allées et venues dans la ville ocre qui ont tenu à honorer l’étranger que j’étais. Des rencontres qui redonnent l’espoir dans notre destinée commune et en l’humanité.
L’hospitalité est plus que jamais un défi à relever en un siècle où la valeur ne tient plus que dans le matériel et plus particulièrement en monnaie sonnante et trébuchante. Elle reste une leçon à apprendre du citoyen qui offre son sourire, son temps, l’information, désaltère ou offre un repas à l’étranger de passage. Une valeur qui se perd dans nos sociétés dites riches, évoluées et civilisées alors que les sociétés dites pauvres et traditionnelles d’avant la modernité actuelle en ont fait le ciment de leur culture. La culture de l’hospitalité se doit d’être honorée ainsi que tous ceux et celles qui de part le monde ouvre les portes de leur maison et leur cœur aux étrangers de passage tout comme aux migrants dits sans-papiers
La solidarité, une quête perpétuelle
La solidarité est une autre valeur qui est au centre de la crise de nos sociétés actuelles. La compétition et la défense des intérêts particuliers étant le maître mot du système néolibéral, le partage et la nécessaire solidarité qui permet la construction du vivre ensemble doit faire partie de notre plaidoyer et de nos luttes pour un avenir radieux sur terre. La vision de la solidarité ne saurait s’arrêter à nos débats au niveau national sur la redistribution fiscale ou la protection sociale pour tous. La migration remet à l’ordre du jour une vision globale à avoir de la solidarité comme un devoir d’humanité en tant que citoyen d’un même monde. La rencontre avec les migrants subsahariens vivant dans les tentes de fortune en face de la gare d’Ouled Ziane à Casablanca et par la suite une après-midi de discussion avec un groupe de migrants africains à l’Eglise Protestante de Guéliz à Marrakech ont été des révélations en ce sens.
Les habitués des soirées branchées à Marrakech connaissent bien le quartier de Guéliz avec ses restaurants, bars et cabarets. Bien peu surement ont eu la curiosité de se rendre au temple de l’Eglise Evangélique du Maroc à Marrakech situé à Guéliz. Dans cet antre de spiritualité nous avons eu la chance de vivre toute une après-midi de partage avec une centaine de migrants subsahariens venant d’Afrique de l’ouest et du Cameroun. Nos échanges étaient principalement autour de leur parcours migratoire et des difficultés d’intégration qu’ils vivaient au Maroc. Si les raisons du départ du pays d’origine étaient spécifiques à chaque personne, ces migrants avaient en commun de partager des histoires de souffrances, de harcèlements et de brimades tout au long de leur trajet migratoire. Certains des migrants portaient des cicatrices comme séquelles des dures expériences vécues tout au long du chemin vers le Maroc en passant par le Nigéria, le Niger, la Libye et l’Algérie. Pour d’autres les séquelles étaient la conséquence de leurs essais ratés pour franchir les barbelés de Ceuta ou Melilla ou encore de leur traversée avortée de la mer pour rejoindre les côtes espagnoles stoppée par les gardes-côtes.
A l’unanimité ils reconnaissent, dans leur effort d’intégration au Maroc, être souvent victime d’attaque raciste marquée par le surnom de mépris « AZI » (« Noir » en dialecte marocain) qui leur est donné par la population. Des témoignages recueillis de leur part nous ont également révélée la méfiance qui caractérise leurs relations avec les marocains dont certains interdisent à leurs enfants de s’approcher des migrants subsahariens. La tristesse de ces récits entendus démontre l’ambivalence propre à toutes les sociétés dans le monde où les couches tolérantes coexistent avec des groupes xénophobes qui ne supportent pas les étrangers. Face à ces dérives les campagnes timides du gouvernement marocain pour lutter contre les discriminations sont battues-en-brèche par d’autres actions répressives fortes comme les chasses aux migrants subsahariens au Nord du Maroc quelques mois avant la conférence de Marrakech. Ces entretiens nous ont également permis d’apprendre que pour donner une belle image du Maroc aux délégués participant à la Conférence d’adoption du Pacte Mondial pour les Migrations, les migrants sans-papiers subsahariens ont été interdits de mener des activités de mendicité aux abords des feux tricolores, ce qui pourtant constituent leur principales sources de revenus. La générosité des religieux et la bienveillance de certains citoyens marocains leur redonne de l’espoir dans cette vie d’errance propre à tout migrant en transit vers une destination qui tarde à se concrétiser.
Certes les mêmes témoignages sur les difficultés d’intégration au Maroc nous avaient été donnés par les migrants sans-papiers rencontrés dans la « jungle » d’Ouled Ziane à Casablanca et confirmés par la suite par des étudiants subsahariens au Maroc en provenance de Rabat croisés fortuitement à la Gare de train de Marrakech. Ces derniers nous ont également fait comprendre les problèmes que rencontrent les enfants des migrants subsahariens nés au Maroc qui ont de la peine à bénéficier d’acte de naissance car considérés comme fruit d’une union hors mariage. L’absence d’un acte de naissance affecte ainsi dans certains cas la scolarisation des enfants de migrants. La question de la tolérance religieuse étant également un autre point conflictuel dans un pays très majoritairement musulman où l’augmentation d’une population de migrants chrétiens pour l’essentiel entraine une certaine crispation. Malgré les évolutions constatées pour l’accès à la carte de résidence, notamment pour les Sénégalais, qui sont quasiment chez eux au Maroc, et les Ivoiriens, les autres communautés de migrants subsahariens luttent sans cesse pour pouvoir s’intégrer à la société marocaine.
A la fin des échanges de cet après-midi à l’Eglise Evangélique à Guéliz, un des migrants nous posa une question anodine : « Au fait on sait qu’il y aura une conférence sur la migration à Marrakech mais on ne sait pas ce qui va être discuté lors de cette conférence, pourriez-vous nous l’expliquer ? » Aussi drôle que cela puisse être, la centaine de migrants que nous avons rencontré et qui vivait pourtant à Marrakech, ne savait rien sur ce fameux Pacte Mondial qui a été adopté en leur nom et à coup de millions de dollars dépensés. Telle est la triste réalité de notre monde où bien souvent les grandes conférences multilatérales où les gouvernements sont conviés pour régler les problèmes de ce monde se font au détriment des principaux intéressés et au profit des organisations clientélistes qui vivent au dépend de ceux-ci. Après avoir expliqué les enjeux du pacte mondial dans un court exposé à ces frères et sœurs migrants, il m’est apparu que le plus noble des engagements pris à Marrakech reste celui de faire entendre la voix et les souffrances des damnés de la terre que sont les migrants. Puisse nos voix porter aux firmaments.
(Ecrit par Samir ABI, Secrétaire Permanent de l’Observatoire Ouest Africain des Migrations)