Réfugiés : L’exemple ougandais

En juin 2017, Kampala, la capitale ougandaise, accueillait un sommet des Nations Unies consacré à  la solidarité avec les réfugiés. L’occasion pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), de louer cet Etat souvent cité comme un modèle en matière de gestion des personnes déracinées. Sur les 22,5 millions de réfugiés que compte le monde, 5,6 millions se retrouvent en Afrique dont 1,3 millions en Ouganda. Dans un contexte régional assez explosif fait de guerre en République Démocratique du Congo (RDC), au Sud Soudan, en Somalie, de conflits sociopolitiques dans divers autres pays des grands lacs et d’Afrique de l’Est, l’Ouganda n’a d’autres choix que d’ouvrir ses portes aux milliers de personnes en fuite pour sauver leur vie. La crispation créée par l’accueil des réfugiés en Europe et la volonté manifeste des gouvernements européens de créer des centres de tri pour les demandeurs d’asile dans le Sahel, ont rendu nécessaire la réalisation d’une mission de monitoring en Ouganda pour comprendre les ressorts de son modèle à  l’endroit des réfugiés

Jeunes au péril de leur vie

Des femmes, des enfants, des jeunes filles et garçons. Telle est la vision qui marque tout visiteur au camp de Bidi bidi au nord ouest de l’Ouganda, à  proximité de la frontière sud soudanaise. Des rencontres avec ces personnes pour dresser leur parcours révèlent à  quel point il reste difficile de vivre sa jeunesse en Afrique. Des jeunes qui ont dû fuir leur pays natal pour avoir osé exiger du travail, une bonne gouvernance, la transparence, une meilleure répartition des richesses ou qui n’ont eu d’autres choix que de fuir des guerres créées par des entreprises transnationales pour mieux exploiter les ressources naturelles et minières sur leur terre. C’est l’histoire de ces réfugiés sud soudanais, congolais, éthiopiens, somaliens, rwandais et burundais croisés à  Kampala et tout au long des visites sur les terres hospitalières ougandaises. De toutes ces histoires, qui reviennent sur le malheur d’être un jeune engagé pour la justice sociale en Afrique, celle de Fiona la burundaise mérite qu’on s’y attarde un peu.

D’origine Tutsi, du haut de ses 28 ans, cette jeune et svelte femme me confia avoir l’impression de réfléchir comme une personne de 50 ans tant les épreuves vécues l’ont rapidement conduit à  une certaine maturité. Sa vie a basculé du jour au lendemain à  cause de l’engagement de son mari. Elle a aimé cet homme pour son engagement m’a-t-elle dit. Agée de 21 ans à l’époque et étudiante en licence de psychologie, elle se marie à  ce jeune politicien qui occupait un important poste administratif dans sa région natale au Burundi. Le malheur fit que ce jeune soit aussi un responsable du parti d’opposition au pouvoir en place ce qui lui a valu de fuir après des élections controversées un an après leur mariage. A la quête de son mari, les services de sécurité de la présidence de la République s’en prennent à la jeune femme portant un début de grossesse. Interrogée en vain sur la cache de son mari, Fiona est battue et laissée mourante dans une forêt. Elle est secourue par une villageoise qui passait par là , à  la recherche de bois de chauffe, qui va la recueillir, lui permettre de reprendre des forces et lui donner un peu de moyen pour quitter clandestinement le Burundi pour l’Ouganda.

A ma question de savoir pourquoi l’Ouganda et non le Rwanda limitrophe qui offrait plus de facilité linguistique, Fiona me relata des faits d’enlèvements d’opposant orchestrés à  partir du Rwanda par le régime burundais via ses espions sur place. La Tanzanie aurait pu également être sur sa trajectoire de refuge mais le gouvernement de ce pays avait pour tendance de recourir à  des pratiques de « retour volontaire» des réfugiés burundais alors que la situation au Burundi parait loin d’être des plus stables. L’Ouganda lui a donc ouvert ses portes pour recommencer une nouvelle vie.

La résilience

Déracinée, loin de sa terre natale et devoir recommencer une nouvelle vie sans argent, sans famille, telle est la dure épreuve que doit subir bien des demandeurs d’asile sur la terre qui leur offre l’hospitalité. Certains ne se relèvent jamais du choc que constitue la séparation forcée de la terre natale, d’autres à  force de courage entame un nouveau départ. Pour Fiona, après avoir pu retrouver son mari et à la suite de son accouchement, leur survie sera la motivation qui la poussera à  reprendre le goût de se battre pour exister. Durant dix huit mois, elle suivi des cours d’anglais organisés à l’endroit des réfugiés trois fois par semaine tout en s’adonnant à  côté à  des travaux ménagers pour nourrir sa famille. Elle allait puiser de l’eau à ses voisins ougandais, faisait le tour des maisons dans les quartiers résidentiels pour offrir ses services pour la lessive et le ménage afin de subvenir aux besoins des siens et les soigner en cas de maladie. Officiellement, elle devait bénéficier de soin gratuit et d’appui alimentaire en tant que réfugié, mais la réalité était autre.

Les réfugiés du camp de Bidi bidi nous ont confié également les mêmes difficultés. S’ils se réjouissent des formations en langue qui leur assurent une intégration à la vie sociale, ils se plaignent de l’accès à  l’alimentation, à  l’eau et à  la santé. La corruption des fonctionnaires devant faciliter ces services et les procédures administratives rendaient encore plus vulnérable la situation des réfugiés. Le recours à  des petits « jobs » est souvent la porte de sortie pour tous. Fiona décida, après les cours d’anglais d’entamer une formation professionnelle pour s’initier à l’art, le tissage, le batik et à la fabrique des perles pour les vendre sur le marché. Après trois mois à parcourir 8km à  pied, quatre fois par jour pour apprendre ces métiers, elle décida avec d’autres femmes réfugiées de créer leur entreprise pour vivre du fruit de leur travail. Leur nature de réfugié fit d’elles des proies pour des personnes véreuses qui prenaient leurs produits et refusaient de les payer. Tant de préjudices et d’expériences décevantes poussent ainsi de nombreuses femmes refugiées vers la prostitution. Quant à Fiona, son salut vint de son sens de l’engagement. A force de vivre la souffrance des siens et de son entourage, elle se consacra de plus en plus à  aider ses sœurs réfugiées en peine avec les démarches administratives et l’accès aux soins. Son engagement et le travail remarquable qu’elle accomplissait autour d’elle lui a valu d’être soutenue par quelques Organisations Non Gouvernementales (ONGs) œuvrant sur place au profit des réfugiés.

Si Fiona s’en sort tant bien que mal tel n’a pas été le cas de son mari. Ce dernier venu s’installer également en Ouganda au côté de sa femme ne parvint pas jusqu’alors à  faire valoir ses compétences. Après avoir suivi le processus pour une équivalence en Ouganda de son diplôme de Doctorat obtenu en France, il se retrouve confronté à la forte discrimination à  l’embauche qui frappe les réfugiés. Tous les emplois disponibles vont en priorité aux nationaux ougandais pour faire face au chômage des jeunes dans le pays et éviter les récriminations des populations contre les réfugiés qui sont à  tord considérés comme des voleurs de travail. Les réfugiés ayant des compétences à  faire valoir se retrouvent totalement dépourvus d’opportunité. Le complexe lié au fait d’avoir effectué des études supérieures et la vision culturelle des tâches domestiques réparties selon le genre masculin ou féminin  aide encore moins ces diplômés à s’orienter vers des emplois rudimentaires à  leurs yeux. De nombreux réfugiés se reconvertissent au niveau professionnel ou deviennent des mulets pour les trafics de tout genre, se livrent aux vols ou finissent par devenir alcoolique.

Luc, de RDC, s’est reconverti en vendeur de boucles d’oreille et de chaines en or. Certes dur de survivre avec les menus bénéfices de cette activité mais il est heureux d’avoir pu quitter l’est de la RD Congo avec ses conflits. Son diplôme de juriste ne lui sert à  rien pour le moment mais il garde l’espoir un jour de rentrer pour occuper de hautes fonctions politiques dans son pays natal après le changement. Gebre, un réfugié politique éthiopien, quant à  lui, s’est initié en Ouganda au métier de reporter vidéo qu’il lie avec sa passion de l’écriture journalistique qui lui a valu de fuir l’Ethiopie tant ses articles dérangeaient le gouvernement. Lui non plus ne perd pas l’espoir de pouvoir épouser la femme de sa vie, Salima, une somalienne rencontrée en Ouganda et qui a bénéficiée d’une opération de relocalisation du HCR et se retrouve actuellement en train de faire des études universitaires en Suède. A quand son tour ? Gebre fait partie de la longue liste d’attente de réfugiés qui espèrent aux promesses des pays occidentaux d’alléger le fardeau supporté par l’Ouganda en acceptant la relocalisation dans leur pays de quelques uns parmi son million de réfugiés.

Effacer les pleurs, rétablir l’espoir

Musa Ecweru, Ministre en charge des réfugiés et des déplacés internes au sein du gouvernement ougandais, en fait sa mission principale. Bel homme, au teint noir et à la tête rasée, le ministre qui siège également au parlement ougandais vous étonne par sa jovialité et son abord facile. Sans aucune peine, il a bien voulu s’entretenir avec nous sur la gestion de son département ministériel. Fort sympathique, et loin des protocoles il nous assure prendre à cœur sa lourde responsabilité envers les réfugiés car pour lui : « Les réfugiés ne sont pas des criminels mais des victimes du dysfonctionnement du système global ». Cependant, il doit également faire face à son opinion publique et au débat à  l’intérieur du pays qui tend à  faire croire que le gouvernement en fait plus pour les réfugiés que pour les nationaux. Un préjugé qui alimente malheureusement un sentiment de xénophobie au sein de la population.

« Quand je visite les camps de réfugiés, j’échange avec ces enfants non accompagnés qui se retrouvent sans nouvelles de leur parent, complètement misérables et en situation de détresse. Je me demande qu’est-ce qu’il en serait si mes enfants se retrouvaient à porter comme eux des bouteilles en plastique à  la place de chaussure… Si mon enfant est aussi intelligent et brillant que cet enfant sud soudanais pourquoi ne pas lui donner la chance d’aller à l’école.  » Alors il nous raconta sa joie récente dans le camp de Bidi bidi de voir cette adolescente, arrivée il y a quelques mois sur le sol Ougandais, parler maintenant l’anglais alors que dans l’Etat failli qu’est le Sud Soudan, elle n’avait pas eu cette opportunité. Le ministre se dit informé des plaintes des réfugiés par rapport aux tracasseries administratives et à la corruption dont ils sont victimes de la part de fonctionnaires véreux. Il essaie de se battre contre cela avec les moyens limités dont il dispose et la lourde tâche qui est la sienne de satisfaire quotidiennement au besoin de plus d’un million de réfugiés.

Au-delà  des réfugiés, le ministre évoque l’épineux problème des déplacés internes, plus nombreux en Ouganda et partout en Afrique, suite aux catastrophes naturelles, au changement climatique et aux conflits ethniques. Estimé à 12,4 millions sur le continent africains et plus de 40 millions dans le monde, la situation des déplacés internes a fait l’objet d’une convention spécifique de l’Union Africaine adoptée à  Kampala le 23 octobre 2009. Cependant, les personnes déplacées au sein de leur propre pays bénéficient moins de la protection internationale  et leur sort est laissé aux bons offices de leurs Etats et à  la charité religieuse. Pour le ministre, les dysfonctionnements du système mondial demandent une solution globale « sinon nous allons tous dans le mur ». Selon le ministre, sauver la dignité des réfugiés et éviter qu’ils ne tombent dans le piège des trafiquants demandent que la communauté internationale réfléchisse à tous les scénarii avant d’entamer des guerres même au nom de la démocratie comme en Libye ou en Syrie. Enfin, il semble essentiel pour le ministre que les pays riches honorent leur devoir de solidarité envers les pays pauvres comme l’Ouganda qui assument les conséquences des guerres en accueillant le gros lot des réfugiés dans le monde et sont obligés de contracter des dettes auprès des Institutions Financières Internationales (Banque Mondiale, FMI) pour faire face à leur gestion.

Les bons réfugiés, les mauvais migrants

Bornwell Kantande, le premier responsable du HCR en Ouganda, s’est montré tout aussi affable en nous accordant également un moment d’entretien dans son emploi du temps. Au prime abord il a tenu à saluer le gouvernement ougandais qui accueille « sans peur » et malgré «  les débats internes » une multitude de citoyens de la sous région sans faire un tri entre les bons « réfugiés» et  les mauvais « migrants » permettant à tous de jouir de leur droit à  la vie. L’actualité marquée par la proposition de création de centre de tri entre demandeurs d’asile et migrants que la France compte installer au Niger et au Tchad, s’est invitée, dans nos discussions. Pour les acteurs de la société civile que nous sommes, la question à l’endroit du représentant du HCR était de savoir ce qui reste encore de la convention de Genève sur les réfugiés après les dernières initiatives européennes pour réduire l’afflux des demandeurs d’asile sur leur sol.

Le paradoxe est que la convention de Genève avait été adoptée en 1951 à  une période où la lutte Est – Ouest occasionnait des réfugiés d’opinion venant en majorité du continent européen, les pays du Sud étant encore sous colonisation. Cette convention se voit aujourd’hui ruinée par les décisions prises au niveau européen à travers l’accord conclu entre l’Union Européenne et la Turquie pour mettre fin à  l’arrivée de demandeurs d’asile syriens, afghans, irakiens etc. en Grèce. Pour le fonctionnaire onusien le Pacte Mondial sur les Réfugiés en cours de négociation et qui sera adopté en septembre 2018 permettra de redéfinir durablement le cadre global de gestion des réfugiés dans le monde et pour le mieux selon lui. En attendant les pays européens enterrent chaque fois un peu plus par leurs actions le droit à la protection de ceux qui fuient les guerres et les persécutions.

L’externalisation annoncée de centre de tri au Niger et au Tchad et le fait de désigner ces pays (Turquie, Niger et Tchad) comme «sûrs » amène à une réflexion sur ce qui reste en Europe de la considération des droits humains. Dans des pays en prise avec des pouvoirs autoritaires, où le peuple et les médias sont muselés et réprimés au nom de la lutte contre le terrorisme, les pays européens se permettent de renforcer les régimes en leur offrant de l’argent et un soutien logistique en matière militaire. Au même moment, les fonds européens servent à financer des ONGs de défense des droits humains qui à coup sûr se feront réprimés par ces pouvoirs autoritaires. Ces militants pour les droits humains se verront ensuite refuser le droit d’être des demandeurs d’asile par les pays européens.

La considération qui est fait de pays soi-disant sûrs dont les citoyens ne peuvent bénéficier du droit d’asile en Europe est en porte-à -faux par rapport à  l’état actuel de la situation des réfugiés dans divers pays dans le monde. En prenant l’exemple d’un petit pays comme le Togo qui a sur son sol plus de vingt mille réfugiés, on constate que la première nationalité des personnes qui bénéficient de ce statut est Ghanéenne. Cela pourrait étonner quand on sait que le Ghana fait partie de la liste des pays sûrs et stables en Afrique selon les critères européens. Ce pays dispose en effet d’un régime démocratique apprécié par la communauté internationale avec une économie qui fait des prouesses en matière de croissance. Or la classification européenne ne tient pas compte de la récurrence des conflits ethniques au Ghana comme dans de nombreux autres pays africains qui poussent souvent des personnes à devoir tout perdre pour se retrouver contre leur gré déracinées et en souffrance loin de chez elles. Ces derniers méritent tout autant la protection internationale que les syriens et autres demandeurs d’asile somaliens au nom de la préservation de la vie humaine.

En outre, les contradictions des politiques européennes par rapport au cadre onusien en matière de gestion des réfugiés, révèlent à quel point le système international n’est ni égalitaire ni juste et totalement occidentalo-centré. La notion de « Crise des réfugiés» n’a jamais été évoqué quand tant de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine avaient à  faire face aux flots des réfugiés issus des conflits en Afghanistan, en Birmanie, en Irak, en Syrie, en Somalie, en RDC, au Sud Soudan, en Colombie, au Nicaragua etc. Et la crise apparaît à  partir du moment où les réfugiés touchent du pied l’Europe. Alors des conférences internationales de haut niveau sont convoquées pour faire face à la crise européenne face aux réfugiés. Ainsi va le monde où une crise n’est pas crise tant qu’elle n’aurait pas touché l’Occident. Le terrorisme n’est pas un problème mondial tant qu’il ne touche pas l’Occident. Une dizaine de morts à Paris, à Barcelone ou à  Londres ont plus de valeurs aux yeux des médias pour des éditions spéciales que des centaines de morts au Kenya, des milliers de morts à Freetown en Sierra Leone ou des milliers de Rohyngas persécutés depuis des années en Birmanie.

La réponse trouvée à la crise européenne des réfugiés reste de renvoyer à  la mort tous les demandeurs d’asile en signant des accords avec des pays à risque comme la Turquie et la Libye où la situation sécuritaire, humanitaire et d’exercice des libertés est des plus critique. L’autre solution trouvée est de renforcer l’armée et les forces de sécurité dans les pays africains sur la route des demandeur d’asile en transformant ainsi des endroits comme le désert du Sahara en cimetière via le positionnement de militaires au bord des oasis pour priver les migrants d’accès à l’eau. Face à ces réponses meurtrières proposées comme seules alternatives pour empêcher la montée de l’extrême droite en Europe et faire plaisir aux riches industriels occidentaux qui rechignent à payer la facture des dysfonctionnements mondiaux, l’opinion publique ou ce qui reste encore de la part d’humanité dans ce monde se doit de s’unir pour défendre la solidarité. Une valeur bafouée par le système néolibérale qui régit la planète et en vient à  oublier qu’une mondialisation économique sans justice sociale et solidarité ne peut qu’amener à  des crises humaines et à  un crime contre l’humanité.

(Article rédigé par Samir ABI, Secrétaire Permanent de l’Observatoire Ouest Africain des Migrations)

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